Celui qui se retrouve sous la pluie aux Olympiades se fait des amis. C'est en tout cas ce qui est arrivé à Lara et à Stéphanie, qui sont de bonnes amies depuis les Olympiades de philosophie. Pour Spinoza, il serait clair que cette amitié devait se produire. Et pour les deux jeunes femmes, il est clair que cette amitié fait d’elles de meilleures philosophes, des globe-trotteuses et deux personnes heureuses !
L'amitié de Lara (à gauche) et Stéphanie (à droite) n'a besoin que de deux choses : du langage et d’un peu d’espace. Photos: Mirjam Sager, Olympiades de la science
Les jeunes femmes ont deux choses en commun: la philosophie - et l'humour! Image: Mirjam Sager, Olympiades de la science
"Comme j'adore Lara, j'apprécie ses idées et n'ai pas de problème à accepter ses arguments lorsqu'ils sont vraiment meilleurs que les miens", raconte Stéphanie (à droite) à propos de Lara (à gauche). Image: Mirjam Sager, Olympiades de la science
Les deux amies sont de réelles globetrotteuses. Elles aiment particulièrement visiter Budapest ensemble. Image: Mirjam Sager, Olympiades de la science
La fête bat son plein sous la tente. Dehors, sous la pluie, deux jeunes femmes discutent. Les mots vont et viennent, faciles et sensés. En cet été 2014 en Lituanie, Stéphanie et Lara perdent la notion du temps. Elles s’entretiennent de la beauté d’une averse. Elles parlent de leurs séries préférées et des questions philosophiques qu'elles tournent et retournent dans leur tête. Lorsque Stéphanie ferme le parapluie, l’orage s’est éloigné depuis longtemps et les deux jeunes femmes sentent que ce pourrait être là le début d’une merveilleuse amitié.
C'était inévitable. N'est-ce pas, cher Spinoza ?
Qui sont nos amis ? Ils sont plus ou moins comme nous. Une sorte de miroir, selon les chercheurs dans le domaine de l'amitié. Lara et Stéphanie confirment cette affirmation. Elles ont le même âge, vivent en Suisse et étudient toutes les deux la philosophie. Elles partagent le même humour, leur vision du monde coïncide. Elles préfèrent faire du shopping dans les magasins d’occasion et adorent les articles de papeterie.
Mais surtout, elles partagent une expérience qui n'appartient qu’à elles : les Olympiades de philosophie 2014 en Lituanie. A cette époque, encore élèves au gymnase, elles représentent la Suisse lors du concours d'essais. C’est en Lituanie qu’elles ont tissé leurs premiers liens, des liens qui quatre ans plus tard se sont transformés en une solide amitié.
Le test des amies : Lara et Stéphanie se connaissent-elles aussi bien que ça ?
Si Stéphanie et Lara ont tant en commun, leur amitié ne devait-elle pas nécessairement se produire ? « Spinoza dirait sûrement oui », dit Stéphanie en riant. Le philosophe pensait que tout ce qui arrive devait arriver. La recherche sur l’amitié affirme cependant que les amitiés naissent souvent par hasard. « Oui », dit Lara, « chez nous aussi, le hasard a joué un grand rôle ». Si elle avait par exemple choisi une autre école, elle n'aurait pas rencontré son professeur de philosophie et n'aurait sans doute jamais participé aux Olympiades. Quant à Stéphanie, spontanée comme elle l'est, elle a remis son texte à la toute dernière minute. Les chances que les deux jeunes filles se rencontrent étaient donc très minces.
La bonne amie
Mais elles se sont rencontrées. Et l’on sent que leur amitié compte beaucoup pour elles. « Il y a des amis avec qui je partage des choses légères, amusantes », explique Lara. « Et puis, il y a les amis qui sont capables d’entendre le reste : les peines, les choses désagréables ou qui nous pèsent. » Une bonne amie peut donc supporter des choses que l’on ne confierait jamais à des étrangers. « Mes crises d’hypocondrie, par exemple », remarque Stéphanie en riant.
Une bonne amie prend cela au sérieux, mais pas trop. L’ironie lie les deux jeunes femmes. Stéphanie, par exemple, aime le style branché ou bobo. « J’adore en parler avec Lara, parce que je sais qu’elle est sceptique et qu’elle fera de nombreuses plaisanteries à ce sujet. » Les deux amies rient beaucoup et fort, de préférence d’elles-mêmes. Il leur arrive souvent que les gens se retournent dans les cafés pour les regarder. « Ils pensent sûrement : Qu’est-ce qu’elles ont, elles sont folles ? », raconte Lara.
Portrait : qui sont Stéphanie et Lara ?
La deuxième vie
De temps à autre, Lara et Stéphanie quittent discrètement cette vie pendant un court laps de temps. Depuis 2015, elles parcourent l’Europe pour rencontrer leurs amis des Olympiades. C'est une sorte de deuxième vie, des moments qui s’écoulent parallèlement à la vie réelle.
« Ces voyages sont uniques. Ils sont très intenses, très spéciaux. L'amitié de groupe fonctionne très différemment de ce à quoi nous sommes habituées. Il ne s'agit pas tant des personnalités que du contexte », explique Lara. Et comment entre-t-on dans ce contexte ? On partage l'expérience des Olympiades de philosophie, ou alors : « On peut aussi tout simplement être un nerd. Un nerd bruyant, comme nous l’appelons », ajoutent les jeunes femmes en riant.
Est-ce que les amis font de nous de meilleurs philosophes ?
Lara et Stéphanie sont des philosophes analytiques. Pour elles, c'est le meilleur argument, la logique, la preuve qui comptent. Cette façon de penser peut être apprise, à l’université, aux Olympiades, mais aussi avec une amie. En effet, la base de la philosophie, c’est la discussion. La discussion, on peut certes l'avoir avec soi-même, mais elle porte surtout ses fruits avec un interlocuteur.
« Lara fait de moi une meilleure philosophe. J’introduis un argument, elle le réfute, la discussion s’enrichit. » Stéphanie poursuit : « Parce que j'aime beaucoup Lara, j'apprécie ses idées et je n'ai aucun problème à accepter ses arguments s’ils sont vraiment meilleurs. » Cela n'est pas toujours le cas à l’uni, parce que là il faut davantage s'affirmer et qu’on est moins disposé à changer de position.
L’amitié ne nous rend ainsi pas seulement plus sûrs de nous et plus satisfaits, comme le prétend la recherche sur l'amitié. Elle fait aussi de nous de meilleurs philosophes.
« Evitons de parler de l’âme ! »
Lara et Stéphanie sont-elles des âmes sœurs ? Les rires fusent : « N’interroge jamais une philosophe sur l’âme, cela conduit à des discussions sans fin ! », s’exclame Lara. Stéphanie poursuit : « Nous ne sommes pas aussi semblables que cela. Nous n’avons pas les mêmes goûts, n’aimons pas les mêmes séries, n’écoutons pas la même musique. »
Mais dans leur façon d'aimer quelque chose, elles sont très semblables. « C'est cela qui rend notre amitié aussi formidable : nous appréhendons le monde de la même manière, même si nous ne faisons pas les mêmes expériences et ne ressentons pas la même chose », explique Lara. Elles ne partagent donc pas le quoi mais le comment. « Nous parlons le même langage quand nous discutons de la façon dont nous vivons la vie », raconte Lara.
L'amitié de Lara et Stéphanie n'a besoin que de deux choses : du langage et d’un peu d’espace. Une petite pièce suffit. Un train, un café, une chambre. Ou le petit espace qui s’ouvre sous un parapluie.